Elle est retrouvée.
Quoi ? – L’Eternité.

Arthur Rimbaud

150 avant l'Exode

Rez et Haron

L'homme était accoudé au comptoir, perdu dans ses pensées. C'était un bouge comme on en trouvait sur toutes les planètes habitées de tous les Secteurs. Et probablement semblable à ceux qui existaient sur Terre depuis des siècles : sombre, aux plafonds bas et voutés, aux murs grélés d'alcôves enfumées. Tout cela contribuait à masquer les traits et la tenue du client solitaire. De temps en temps, sans rien dire il adressait une demande au tenancier d'un geste sec de la main tenant son verre : verre que le tenancier le remplissait avec diligence.

En le servant une nouvelle fois, le tenancier sembla hésiter. Il repartit ranger des ustensiles derrière son comptoir en jetant des regards attristés vers son client. Quand ce dernier lui adressa une nouvelle demande silencieuse, sa décision était prise.

— Hé bien, mon jeune ami. Cela fait un certain nombre d'heures que je n'ai pas entendu le son de votre voix.

Le client ne réagit pas mais le tenancier était réputé pour être assez obstiné (une fois ses décisions prises), et il pouvait se vanter d'une certaine expérience avec les clients taciturnes. Après quelques secondes d'un silence pourtant explicite, il continua.

— Vous êtes là, à mon comptoir, à boire du soir au matin - votre compagnie ne m'est pas désagréable, bien au contraire - mais enfin, je vous ai connu disons, plus rieur, à raconter vos recherches incompréhensibles à qui veut l'entendre ! Vous ne vous plaisez plus, à l'Institut ? Et, excusez-moi de vous demander cela, mais vous parliez tout le temps de votre amie, comment s'appelle-t-elle, déjà...

— Haron, le coupa le client sans doute plus fort qu'il ne l'aurait voulu, en reposant sèchement son verre sur comptoir.

Le tenancier s'interrompit, surpris. L'homme releva enfin la tête. Il avait une trentaine d'année, d'épais cheveux noirs, un visage qui devait avoir était plus rond quand il était jeune mais qui était maintenant trop maigre, trop pâle. Ses yeux était soulignés de cernes épaisses. Il resta un instant les yeux dans le vague, puis s'anima soudainement.

— Mon travail et mon couple, oui, vous avez bien résumé les deux problèmes de ma vie !

Le tenancier savait qu'il allait obtenir ce qu'il souhaitait : une bonne discussion avec ce client fidèle, au milieu de cette nuit routinière, dans ce bar où seulement quelques groupes de deux ou trois personnes parlaient à voix basse en finissant leurs verres.

— Hé bien, racontez-moi donc, si vous voulez. Il n'y a personne ce soir. Nous avons le temps.

Le jeune homme s'autorisa un bref sourire triste.

— Je ne vois d'avenir ni pour l'un ni pour l'autre, mais figurez-vous que ce n'est pas ce qui me préoccupe le plus en ce moment. Ce qui me hante, c'est le passé. Saviez-vous que j'y étais ? Il y a dix ans. J'étais caché dans un vaisseau en orbite autour de Rubim. Vous avez déjà vu Rubim ? Non, j'imagine que non : une planète gigantesque, semblable à Jupiter, flamboyante de rouge, d'or et d'azur, ceinte d'anneaux majestueux. Mais je n'étais pas à Rubim pour admirer la vue : autour de nous, la flotte de l'ancien Gouvernement était engagée dans une bataille décisive contre le groupe qu'il appelait les Rénégats. C'est alors que la gigantesque armée vengeresse a surgit de la Deuxième Porte. L'armée des Traducteurs, des siècles d'avance technologique, quatre fois plus de vaisseaux que les deux autres camps réunis.

— Une incroyable victoire, je m'en souviens, intervint le tenancier surpris de ce réveil inattendu.

— Un massacre. Le pire de l'histoire de l'humanité. Le Gouvernement a été balayé. Saviez-vous, tenancier, que cette attaque avait été planifiée pendant des décennies, depuis le Havre secret des Traducteurs ? Le Gouvernement, corrompu jusqu'à l'os, en stagnation depuis la fermeture de l'ancien Institut de Traduction, s'est effondré.

Le visage du client s'assombrit. Le tenancier remplit leurs deux verres. Les deux hommes burent silencieusement.

— La "démocratie", reprit l'homme, amer. Comme si cela se décrétait. Les savants gouvernent la galaxie désormais. Les équations ont remplacés les ministres opportunistes. Vous savez comment on appelle ce type de régime ? Une dictature scientifique, conclut fermement le client sans laisser au tenancier le temps de répondre.

— C'est quand même mieux que d'être gouvernés par des idiots non ?

— Consultons les chercheurs, mais prenons les décisions.

— Bah, décida le tenancier après quelques secondes de réflexion. Président, Sénat, Institut - tant que les affaires vont bien... Mais dites-moi. Il y a autre chose qui vous chagrine, je le vois bien. Il y a la politique d'accord et... Haron Sheldi ?

L'homme sourit franchement cette fois-çi.

— Que peut-on vous cacher, tenancier ?

— C'est le métier, que voulez-vous, répondit-il modestement, en s'installant sur un siège. Il laissa son client rêver quelques minutes, sachant qu'il allait reprendre le fil de son discours.

— J'ai soutenu ce régime, j'ai mis toute mon énergie dans mon travail à l'Institut. Comme si quoi que ce soit de bon pouvait émerger du charnier de Rubim. J'ai détourné le regard, quand les élections ont été imposées sans éducation, quand la constitution toute prête a été adoptée sans débat contradictoire. Nous avons travaillé dur, Haron et moi.

Le client jeta un regard derrière son épaule et baissa un peu la voix.

— J'avais des théories, quand j'étais jeune, qui se sont révélées toutes fausses. Mais, malgré tout, nous avons fait quelques découvertes. En persévérant dans des travaux qui n'étaient pas, disons, orthodoxes. La dictature scientifique ressemble à une théocratie, vous savez, quand la science est dominée par un groupe qui n'accepte pas la contradiction. Nos recherches sortaient du cadre des champs classiques des Traducteurs. Aux premiers coups d'œil suspicieux de nos supérieurs, nous nous sommes soumis, bien sûr. En apparence. Nous avons vite compris, Haron et moi, le chemin que prenait l'Institut. Mais nous avons continué à travailler dans l'ombre, clandestinement. Et plus nous travaillons, moins nous nous parlons. Nous validons nos théories, et nous nous oublions. Je n'ai pas vu Haron depuis des mois. Mais elle m'a donné rendez-vous. Dans votre établissement, tenancier, ce soir. Je l'attends depuis des heures.

— Installez-vous dans l'alcôve, là derrière, vous serez tranquilles pour discuter quand votre amie arrivera. Et tenez, je vous sers deux verres de ma spécialité. C'est offert par la maison, monsieur Sultinon.

Le tenancier enchainait machinalement les gestes quotidiens : ranger les verres, contrôler les niveaux de ses boissons maison, nettoyer les tables, pousser les bancs. Vérifier la caisse. En général au petit matin, après avoir réveillé et raccompagné vers la sortie les derniers clients, il accomplissait tous ces gestes silencieusement, ou en sifflotant des aires populaires des années 950, selon son humeur. Mais ce matin il était habité d'une tension inhabituelle. Ce n'était pas la première descente de police qu'il subissait dans son bar. En général, il pouvait exfiltrer discrètement ceux qui avaient mauvaise conscience. Les deux ou trois Gardiens s'estimant alors mal informés maugréaient, jetaient des coups d'œil suspicieux, posaient quelques questions. Parfois, ils buvaient un verre avant de repartir. A une ou deux occasions peut-être ils avaient embarqué un client pour du menu trafic. Rien à voir avec la scène vécue à peine une heure auparavant.

Une cinquantaine de Gardiens équipés comme des robots avaient envahi le bar. Les quelques clients encore présents avaient été sommé de partir, les récalcitrants arrachés à leur siège et jetés dans la rue tandis que cinq policiers saisissaient Rez Sultinon et le plaquaient au sol, poignets et chevilles entravés. Le tenancier était maintenu fermement contre un mur. "C'est moi qu'ils veulent", avait dit Rez en une mauvaise très évaluation de la situation. Deux soldats l'avaient relevé.

— Où est Haron Sheldi ?, lui avait demandé un troisième, sèchement et sans introduction.

Rez avait regardé le Gardien dans les yeux et répondu calmement.

— J'en sais rien.

Il avait reçu au visage un coup d'un revers de main gantée en guise de première sommation.

— C'est ta copine. Il va falloir que tu nous dises où elle est.

— Je sais pas je te dis. On s'est séparé. Ca fait six mois que je ne l'ai pas vue, avait répondu Rez entre ses lèvres ensanglantées.

Rez avait soutenu le regard de l'officier qui était resté silencieux une longue minute. Puis il avait esquissé une sorte de sourire. Il avait fait un petit signe de la main. En quelques secondes l'escouade était sortie en emmenant son prisonnier, le bar vidé, laissant le tenancier dans un silence surnaturel. Sur le comptoir l'un des Gardiens avait laissé une plaque de cent crédits, sans doute en guise de dédommagement. Ou d'avertissement.

Le tenancier donna un dernier coup de chiffon sur le comptoir. Cinquante soldats, équipés et entrainés, pour appréhender deux chercheurs. Dont un membre de l'Institut, survivant de Rubim. Ca faisait beaucoup, pensait le tenancier. Il pensait aussi à certains clients, des habitués. En particulier une femme qui aimait parler à un groupe qui se réunissait souvent ici. Une ancienne Sénatrice, avait cru comprendre le tenancier, mais qui était maintenant inéligible, pour raison politique selon elle. Un poète aussi, qui parlait d'oppression, de démocratie et d'autodétermination. Une gamine de 9ème Secteur qui racontait comment une petite ville de sa planète natale avait décrété ne plus dépendre de l'administration de l'Institut de Traduction. L'Institut n'avait pas aimé ça.

Le tenancier avait toujours soigneusement évité tout engagement politique, cela lui semblait conforme à l'éthique de son métier.

Ce matin en fermant son établissement il commençait à reconsidérer sa position.

— Rez ?… Rez… Prends ma main, Rez, m'entends-tu ? Flotte avec moi, viens. C'est fini, Rez, tout est fini. On avait raison. Bien sûr. Vole avec moi, Rez. Regarde comme c'est beau ! Les nébuleuses, les nuages incandescents, les étoiles par milliards. Nous sommes l'enfant des étoiles Rez, nous sommes David renaissant après avoir atteint Jupiter. Souviens-toi de nous, je t'en prie. J'ai essayé de faire quelque-chose. Nos ennemis sont inébranlables, ils ne renonceront jamais, ils tuerons comme sur Uhu, les Traducteurs ont vitrifié la planète. Ils tortureront comme ils t'ont torturé, Rez, pour garder le pouvoir qu'ils ont saisi ce jour sanglant, maudit, au dessus de Rubim. Tu es Eärendil survolant l'univers son Silmaril sur le front, je suis Bai-Niang traversant en kimono blanc l'espace infini des étoiles pour demander grâce au Dieu-Dragon. Nous virevoltons dans le TechnoCentre. Les Eldars n'existent pas, Rez. Nous seront les Eldars. Nous sommes entre les Portes, dans le Grand Terminal de l'espace et du temps. Ma connaissance est ténue, ma compréhension parcellaire, mon pouvoir infime, mais le chaos règne, on peut influencer le cours des choses. On peut influencer le cours de l'histoire. Je ne sais pas où sont nos corps tandis que nous flottons dans cet Interzone, Rez. Te souviens-tu de nos corps ? Nos corps serrés l'un contre l'autre. Nos corps en apesanteur ou soumis aux attractions terrestre ou lunaire, aux accélérations des nefs de l'Institut. Nos corps nus et apeurés. Nous retrouverons nos corps puisque nous vivons, je suis en train de te parler, je te vois, nous surgirons d'une Porte spontanée quelque part, parle de téléportation quantique si cela te rassure, et nous préparerons notre retour, le retour de l'humanité, le retour de l'Etoile de l'Ouest. Nous serons les Eldars tels qu'ils auront été. J'ai essayé de faire quelques chose. Tu avais gardé l’équation, en tout cas sa signature, sa graine. Je l'ai replantée. Je l'ai nourrie, je l'ai observée, je l'ai vue grandir, je l'ai vue partir. Je l'ai suivie. A travers des chemins troubles, entropiques, tu aurais dit stochastiques ! Nous sommes les princes d'Ambre Rez, voyageant entre les Ombres. J'ai suivi l'équation jusqu'à cette journée, jusqu'à l'Etoile de l'Ouest en orbite au dessus d'Eldakôr. Ça n'a pas été simple, bien sûr. Ça ne l'est jamais. Le chaos encore une fois, dans notre couple comme partout ailleurs. Ces dix années. Tellement intenses qu'on ne parle plus d'être heureux ou non, juste d'être vivants, ensemble. Il a fallu trouver une planète : je l'ai trouvée. Aux confins de la Voie Lactée, dans un beau système binaire. Ici nous allons réunir les survivants, les résistants; ici nous seront les Eldars. Nous aborderons ce monde avec la rigueur scientifique qui fait défaut à l'humanité depuis la découverte des premiers temples. Paradoxalement, nous créerons ces temples, bien sûr. Ne prenons pas de risques. Nous seront des Eldars, pas des Dieux. Nous seront Paul à l'orée du Sentier Doré. Prends ma main. Caresse-moi comme autrefois. Regarde, c'est la Tarentule, la nébuleuse NGC 2070. Les secteurs sont à feu et à sang. Les révoltes ont été réprimées avec une brutalité féroce autant que millimétrée. Fölls a disparu, son frère et ses parents ont été vitrifiés avec leur planète. Partout le régime a montré son vrai visage: violent, totalitaire. La conclusion logique de Rubim, Rez. Pire que tout ce que tu craignais. Nous sommes Beren et Lúthien, nous sommes les psychohistoriens de la Seconde Fondation. J'ai renvoyé l'équation vers cette planète, notre planète. L'Étoile de l'Ouest traversera-a-traversé la porte d'Eldakôr et plongera-a-plongé dans les couloirs étranges. Elle surgira-a-surgi au-dessus de notre planète et decouvrira-a-découvert notre héritage. Parions qu'une partie des naufragés osera le grand voyage, la traversée générationnelle; espérons que leur descendants survivront; imaginons leur retour, rêvons-les sauveurs de l'humanité. Voila Rez, mon Rez aimé, c'est ce que j'ai imaginé, nous sommes vivants mais il y a eut un accident, cela ne s'est pas passé comme prévu. J'avais besoin de toi pour construire cette Porte. La cible était si étroite, le délais bien trop court. Je t'ai arraché à cette chambre de torture quelques jours avant la date prévue de ton exécution, puis le tunnel s'est effondré, les Portes se sont fermées. Et j'ai flotté des siècles ou une seconde, nue, terrifiée dans l'obscurité, avant de comprendre, j'aurais pu devenir folle mais j'ai choisi une autre voie, j'ai choisi la voie des Eldars. Puis j'ai senti ton souffle dans mon cou. Nous avons du travail, Rez, énormément de travail, mais avant de commencer si nous passions un peu de temps tous les deux ? Tu souris, je lis dans tes yeux peur et admiration; je suis touchée. Mais je vois autre chose, du désir. Embrasse-moi Rez. Serre-moi fort. Nous avons tout l'univers autour de nous, les amas de galaxies éblouissants, les nuages d'hydrogène et les supernovæ. Embrasse-moi encore.

Ginia

A 17h le soleil diffus et sans chaleur menaçait déjà de disparaitre derrière la crête du vallon. Ginia ranga son matériel dans son sac et se redressa. Elle écouta le silence quelques instants. En face la brume prenait une couleur jaune pale autour du petit mont qui brisait la ligne de l’horizon. Elle s'étira en se massant le bas du dos. Puis elle mit son sac sur les épaules et entama la descente le long du sentier familier. Il restait quelques plaques de neige verglacée qui craquaient sous ses pas. Le travail n’avait pas avancé aussi bien qu'elle le souhaitait : une canalisation avait cédé sous la pression de la glace, le bois du pourtour du bassin s’était fendu, l’électronique était endommagée. Cela attendrait le lendemain. Elle aurait pu continuer comme souvent à la lumière de sa lampe frontale, mais elle faisait partie du tirage pour l’A.C. du soir.

Elle emprunta les ruelles pavées, entre les maisons de pierre. Ces vieilles bâtisses qui regardaient toutes dans la même direction. Comme elle n'avait pas le temps de passer à la maison pour se changer ou poser ses affaires, Elle se rendit directement à la salle commune. Elle croisa quelques visages connus, des gamins; Elle répondit aux saluts d’un hochement de tête ou d’un sourire. Elle pensait à tout le travail déjà accompli, aux efforts qu’il faudra encore fournir, à la fragilité de leur petite communauté. Ginia était issue de la deuxième génération d’après l’Exode. Elle estimait faire partie des chanceux, ceux qui ont choisi. A la fontaine du village elle asperga mon visage d’une eau pure et glaciale. Elle attacha ses cheveux en chignon, épousseta son manteau, puis elle gravit la volée de marche et entra dans la salle du conseil.

Elle prit place sur une chaise. C’était Murray le président de séance ce soir. Il annonca de manière très solennelle: "Je déclare ouvert le Conseil Communal d'Aubines du 20 février 52 A.E."

Elle ne put s'empêcher de sourire en détaillant la barbe blanche un peu hirsute, les épaisses lunettes, l’expression en français avec fort accent américain. Mais tandis qu’il égrenait l’ordre du jour Ginia se sentit gagnée par le désespoir. La liste des problèmes semblait interminable. La petite commune fondée en l’an 3 après l’Exode semblait prête à atteindre l’autonomie en eau (si elle réussissait à bricoler le réservoir nord), mais un tiers du parc éolien était en panne, et les aléas climatiques de la dernière décennie avaient pesés lourd sur le développement agricole de leur petite commune du B.V. de la Cluze. Ginia savait bien par les échos des conseils bassinaux et fédéraux qu'ils n'étaient pas à plaindre. Elle restait déterminée, elle saivait qu'elle préfèrait la rude vie communale aux concentrations (toutes relatives, comparées à celles du siècle dernier) des villes-jardins.

— Point numéro 7, le prochain conseil du réseau communal du G.B.V. de la Tolède qui commence le 12 mars. Aux volontaires merci de lever la main, énnonca Murray en scrutant la salle. Après quoi nous procéderons au tirage au sort. Personne ?.. Bon. Alors allons-y… Voyons… Voilà: Virginia Lubo.

Évidemment, pensa Ginia. Elle ferma les yeux, se massa les tempes, essaya de respirer lentement pour détendre les muscles de son dos. Puis elle se leva et dit :

— Oui, j’irai.

Le sourire de Murray.

— Très bien, merci Ginia. Tu nous feras savoir quel novice de ta maison choisira pour t’accompagner. Nous allons maintenant discuter des thèmes que tu porteras au conseil.

Quand les membres du conseil quittèrent la salle tard dans la soirée, disparaissant sous lune voilée par la brume hivernale, Murray rattrapa Ginia dans la ruelle.

— Ca ira, pour le conseil ? S'enquit Murray.

— Oui, oui. J’expliquerai à Tomi pour le réservoir. Ca me dit bien d’aller voir un peu du pays.

— Ok, super.

Ils marchèrent en silence. Puis Murray ajouta :

— Ca sera un conseil délicat. Avec les questions de fusion, et la nouvelle montée des eaux.

— Ouais. La fusion…

Ginia marcha pensive puis ajouta :

— Ca pourrait changer pas mal de choses.

— A mon avis on n’est pas prêts d’en bénéficier, répondit Murray. Ces villistes et leur arrogance. Fuck them.

Elle rit de bon cœur mais redevint vite sérieuse :

— Oui, cette tendance à la re-centralisation m’inquiète un peu aussi. Je trouve qu’on s’éloigne de l’esprit de la charte. Le conseil du GBV sera l’occasion de prendre la mesure des rapports de force, avant le conseil fédéral de cet été. Quant à la fusion… une source d’énergie théoriquement inépuisable… ça fait un bail que l’humanité attend ça ! La fin de l’histoire, hein Murray !

Théâtraux ou facétieux, les nuages sombres passèrent rapidement et la lune brilla un instant sur les silhouettes inquiétantes des éoliennes à l’arrêt, sur la crête, de l’autre coté de la vallée. Ils arrivèrent devant la maison de Ginia.

— Bon. Bonne nuit, a conclu Murray. Tu pars quand ?

— Après-demain je pense. Bonne nuit, Murray.

Un coup de vent gelé, l’homme disparut au bout de la route et Ginia se glissa dans la chaleur de sa maison.

Elles atteignirent l'Aideau qu'elles longèrent entre les sucs et les bocages. Au fur et à mesure du voyage, Aiano devenait plus bavarde et Ginia plus sombre. La perspective du conseil bassinal l’inquiétait. Les “événements”, comme on appelait la mise en place de la charte d'alliance, et le début de l’Exode citadine dont la date marquait le nouvel an zéro avaient beau avoir levé les anciens blocages de l’économie, tout restait compliqué. Au grand dam de Murray l’histoire n’était pas finie, la politique existait plus que jamais. La démocratisation de la production, et ses conséquences logiques (disparition de l’actionnariat, de la propriété foncière, des vieux états-nations et de leurs frontières) n’avaient pas mis fin aux jeux de pouvoirs, ni à la conflictualité des groupes d’intérêt. Les petites communes comme la sienne se sentaient dépendantes des centres historiques du pouvoir; le fait que les villes-jardins hébergeaient encore la plupart des conseils bassinaux en était un symptôme parmi d’autres. Quant au conseil fédéral auquel appartenaient la commune d'Aubines, il était encore tenu chaque année dans l’une des communes qui composaient autrefois l’ancienne capitale française.

— Ginia ?

— Mmmh ?

— C’est qui les Martiens dont vous parliez avec Cai l’autre soir ?

Ginia soupira, marqua une pause en admirant le panorama : chirats de roches grises, landes de genêts; au loin les Alpes dominées par le Mont-Blanc. Elles avaient parcouru 70 kilomètres en quelques jours. Ginia hésitait entre rejoindre la vallée tout de suite pour ensuite longer la rivière, ou continuer à travers le massif jusqu’à la commune d'Issilieu.

— C’est un groupe d’intérêt puissant. Les communes qui s’y reconnaissent investissent des ressources dans des technologies qu’elles espèrent pouvoir permettre, un jour, la colonisation de Mars. Elle ajouta : du gaspillage. Mais c’est le choix de leurs citoyens.

— Mais le conseil fédéral est censé bloquer les projets qui nuisent à l’intérêt général, non ?

Ginia ne répondit pas, préférant laisser l’enfant se répéter la question, évaluer chaque mot et chaque concept. Se heurter aux impasses et chercher ses propres issues.

Elles échangèrent ensuite sur la suite du parcours, et choisirent de continuer sur les sentiers montagneux.

Aiano et Ginia accompagnèrent Ruby et sa maison pour la nuit. Aiano s'était bien réveillée, elle alla dormir avec Joan avec laquelle elle était en pleine discussion. Ginia s'allongea sur le lit de la chambre qu’on lui avait prêtée, elle divagua un moment, puis écrit un peu dans son carnet avant de s'endormir.

Cette fois encore elles décidèrent de ne pas longer la rivière mais de prendre vers le nord-ouest pour traverser les terres agricoles. Ginia souhaitait observer les cultures céréalières des Martiens. Ruby et Zora les accompagnèrent le matin, ils visitèrent des champs et des serres. Ils déjeunèrent au bord d’un lac. Puis Aiano et Ginia repartirent seules. En fin d’après-midi elles gravirent les collines et la ville-jardin resplendit enfin à nos pieds. Ginia était indifférente aux bâtiments étincelants mêlés à une végétation qu'elle trouvait trop lisse, trop domestiquée, mais Aiano sembla frappée de stupeur. La ville-jardin était composée de plusieurs communes, mais l'ensemble hébergeait encore quelques dizaines de milliers d’habitants, un demi-siècle après le début de l’Exode citadine. Ginia prit quelques longues inspirations. Puis elles descendirent le long d’une petite route pour rejoindre l’une des maisons communes située dans la partie la plus ancienne de l’ancienne ville, au bord de la rivière.

La première déflagration retentit pendant l'allocution de la déléguée que Ginia avait aperçu la veille. Elle représentait une ancienne commune, une des premières de la ville-jardin, les Ngoaïs. Elle ne portait pas le rond rouge mais elle était en train d'évoquer les images des sondes envoyées sur Mars grâce au nouveau système de propulsion. Les enfants observaient la grande salle et les gens mais surtout ils écoutaient avidement. Les discussions duraient depuis une semaine bientôt mais ils étaient loin d'être lassés.

L'explosion fut sourde et lointaine, comme souterraine. Elle réduisit tout le monde au silence. Elle fut suivie d'autres grondements semblant provenir d'autres quartiers. Les murs tremblèrent une ou deux secondes, quelques menus débris tombèrent du plafond dans un bruit d'effritement inquiétant. Quelqu'un dit quelque-chose mais fut vite interrompu par une deuxième explosion, assourdissante. La porte centrale située en haut de l'amphithéâtre vola en éclat, fracassée de l'extérieur, suivie par une épaisse fumée qui rendit l'air irrespirable. Puis la panique éclata.

Ginia vit la déléguée qui était en train de parler se jeter derrière le pupitre de l'estrade à la première détonation, comme par réflexe. Elle entendit des cris : des slogans évoquant Mars. La fumée était partout, tout était confus. Elle courut en essayant de rester à couvert, en direction des premiers rangs où les enfants étaient installés. Il y eut d'autres explosions, des coups de feu, des cris. Une nouvelle fois le sol trembla et Ginia s'effondra sur le sol, elle ne savait plus vraiment où elle était, il lui sembla voir un visage ensanglanté, ses oreilles sifflaient, elle n'entendait plus rien. Elle longea en rampant une rangée de bancs de l’amphithéâtre, se retrouva nez-à-nez avec cette déléguée dont elle reconnu les cheveux blonds et la peau claire, elle-même semblant chercher un abri, un endroit où reprendre son souffle. La déléguée suivit Ginia en courant courbée en avant, une partie du dôme s'effondra, elle regardait Ginia qui essaya de libérer son visage de ses cheveux trempés de sueur. Ses yeux avait un mouvement frénétique. Elle lui dit

— Je cherche ma novice. Une enfant de neuf ans

La déléguée des Ngoaïs ouvrit de grands yeux, hocha brièvement la tête et fit signe à Ginia de la suivre.

Elles sortirent du bâtiment. Des secours commençaient à arriver, il était difficile de les distinguer des émeutiers. Il faisait nuit noire mais partout les nuages rougeoyaient, la ville-jardin était en flamme, Ginia entendait des cris et des sirènes. La déléguée des Ngoaïs lui criait dessus en tenant son visage fermement entre ses mains, essayant de trouver son regard. Elle hurla :

— A quoi ressemble-t-elle !? L'enfant !?

Il faisait extrêmement chaud, Ginia était assise dans l'herbe, la déléguée était penchée sur elle. Ginia finit par répondre :

— La peau très sombre, les cheveux coupés ras.

La déléguée s'est effondra à ses cotés et lui dit :

— Je crois que les Martiens l'ont prise.

Ginia la regarda sans rien dire. Elle poursuivit :

— J'ai vu un groupe l'emmener. Ils avaient les signes distinctifs et puis...

Elle secoua la tête, Ginia la voyait réfléchir à toute vitesse. Elle ne comprenait pas ce qu'elle lui disait. Mais la déléguée lui adressa une mimique, mi-sourire mi-grimace (de douleur peut-être, elle se tenait les côtes), elle lui souffla :

— Je pense savoir où elle est.

Elle a prit la main de Ginia, la releva fermement, commenca à courir sans la lâcher, lui criant essoufflée:

— Je m'appelle Molly, Molly Hendon. Parle-moi de l'enfant. Elle n'est pas née dans ta maison n'est-ce pas ?

Mais Ginia n'était pas capable de répondre. Elle regardait la ville-jardin en proie au chaos autour d'elle : bâtiments en flamme, explosions, véhicules rapides glissant dans toutes les directions. Les Martiens l'ont prise : la phrase de Molly n'avait pas encore de sens concret. ELles traversèrent une haie ou un bosquet, le visage de Ginia était fouetté par les branches, elles franchirent une voie de tramway, grimpèrent un escalier, Ginia n'avait aucune idée de l'endroit où Molly la trainait. Elle réussit à formuler :

— Molly est arrivée à ma commune il y a deux ans, un soir d'octobre.

Et puis elle continua à parler de plus en plus vite, en haletant. Tant qu'elle parlait elle pouvait courir, tant qu'elle courait elle pouvait éviter de penser.

— Elle est arrivée le 7 octobre 50. Epuisée et sale comme après des jours de voyage en solitaire. Ses vêtements étaient en lambeaux, elle parlait une langue qui nous n'avions jamais entendue, ça ressemblait vaguement à l'anglais mais même Murray un membre de ma commune originaire de l'ancien territoire des Etats-Unis ne saisissait que quelques mots. Elle mettait la main sur son coeur en répétant : Aiano, Aiano. Nous l'avons recueillie, puis envoyé son signalement aux conseil bassinal puis fédéral, qui ont pu relayer aux autres continents, mais nous n'avons jamais reçu de réponse. Elle a rejoint ma maison, nous lui avons appris le français et le portugais que nous sommes plusieurs à parler.

Nous longions des hangars, ou des vielles usines désaffectées datant d'avant l'exode. J'ai remarqué soudain le calme, les rumeurs des émeutes, des explosions, des hurlements nous parvenaient plus lointaines, un peu étouffées.

— Où m'emmènes-tu ? Je dois retrouver Aiano.

Molly s'est arrêtée de courir. Nous étions en nage, à bout de souffle. Je regardais le paysage urbain autour de moi, et j'ai été saisie d'un grand désarrois, mêlée à une résignation apeurée que je ne pensais pas pouvoir ressentir un jour. J'ai été frappée par une révélation, transpercée une conviction qui sommeillait en moi depuis des années, jamais exprimée auparavant mais décompensée par l'heure incompréhensible que je venais de vivre : la charte est un échec, l'exode est trahie, bafouée, morte. Je n'étais pas dans une ville-jardin : c'était une cité, une métropole, qui concentrait les pouvoirs économique et politique, comme avant. Les villistes de Murray.

— Hein ?

— Quoi ?

— Je ne sais pas, tu parles de la ville-jardin, je ne comprends rien. Reste avec moi, Ginia. Il faut faire encore un effort. On va arriver chez moi, je vais te présenter mon amie, on va essayer de t'expliquer ce qu'on a compris. Mais...

Molly regarda le ciel avec un air bizarre. Elle ajouta tout bas :

— Il faut faire vite.

Elles reprirent leur course, longeant le fleuve. Sur les quais Ginia commença à noter les graffitis : des slogans obscurs, le rond rouge barbouillé à la hâte sur les murs. Elles traversèrent un pont, elle se retourna et contempla le désastre. Les épais nuages noirs rougeoyaient, certains quartiers étaient en flamme. Il y a avait encore des explosions de temps en temps. Elle entendait encore la clameur qui semblait monter du parc où elles étaient auparavant. Molly se tenait à ses coté, elle prit ma main, la serra un peu.

— Que se passe-t-il ? Où est Aiano ?

— Je pense qu'elle a été emmenée, ou enlevée, par un groupe de Martiens que je considère comme extrémistes.

— Mais pourquoi ?

Molly a resta silencieuse mais Ginia voyait qu'elle réfléchissait intensément. Puis elle sentit un gout acre dans sa bouche, elle était en train de mordre l'intérieur de sa joue jusqu'au sang. Molly continua :

— Je pense savoir comment découvrir où ils l'ont emmenée, tu dois me faire confiance. Il faut rentrer chez moi le plus vite possible. On va retrouver Flo, elle pourra nous aider.

Ginia la regarda. Elle hocha la tête. Elle ne voyait pas d'autre voie possible. Le fleuve s'écoulait rapidement sous le pont, l'eau était rouge, au-delà la ville-jardin brulait.

A 5h Ginia retrouva Molly dans la cuisine, qui n'avait pas dormi non plus. Elle regardait pensivement un petit objet, un jouet peut-être, qui représentait un avion ou une fusée. Elle lui servi une boisson chaude, aromatique et un peu amère.

Elle lui montra la petite fusée.

— C'est un vieux truc, une babiole rangée dans un placard habituellement mais là elle était posée sur l'étagère de la cuisine. Je pense que Flo a voulu m'aiguiller discrètement. Elle m'a parlé de leur lieu de réunion, ceux qui ont - enfin, les Martiens mystiques ou je ne sais quoi, c'est à une trentaine de kilomètres au nord. Ils vont dans une ancienne auberge, au sommet d'un mont d'où ils s'amusent à envoyer des petites sondes dans le ciel. Je suppose qu'ils ont emmené Aiano là-bas.

L'air était froid et sec, le ciel dégagé. Molly consultait un journal : les émeutiers avaient semé la panique et avaient disparus aussi vite. Les incendies se révélèrent sans gravité. Les citoyens liés à la factions martienne étaient choqués, ils devaient expliquer ce qu'ils savaient lors d'une session extraordinaire du conseil bassinal le matin même. La ville-jardin semblait étonnamment calme. Mais une forte odeur de fumait persistait.

Molly lui présenta des voisins, elles empruntèrent deux vélos à sa maison et partirent vers le nord. Elles traversèrent la rivière, grimpèrent une route en S jusqu'à un plateau puis continuèrent vers une chaine de collines qui se détachait au-delà. La route était déserte. Vers 8h elles aperçurent quelqu'un qui arrivait en face, apparemment à pieds. Molly sembla hésiter à se jeter dans le fossé pour se cacher puis se ravisa. Quelques minutes après elle souffla : C'est Flo.

Flo qui marchait sur la route, éreintée. Elle ne portait pas le symbole martien. Ginia regarda les deux femmes s'étreindre brièvement, échanger quelques mots. Elle parlèrent ensuite rapidement en anglais, Molly secouait la tête, disait no, no, Ginia attendait comme figée, puis Flo s'adressa à elle d'une voix au timbre très doux :

— Bonjour, Virginia. Je m'appelle Florence Folay. J'ai pu suivre discrètement le groupe qui a emmené votre novice, Aiano. Je l'ai vue cette nuit, elle va très bien, elle semble déterminée à rester calme. Je connais certains membres du groupe, ils ne lui feront pas de mal. Ils sont persuadés qu'elle peut les aider dans leurs projets. Ils sont fous, ils sont illuminés, habités par leur mystique mais ils sont, je pense, inoffensifs.

— Vous êtes avec eux ? Comment pouvez...

— Non, non je ne suis pas avec eux. C'est un groupe très particulier, même parmi nous, les Martiens. Mais j'avais deviné qu'ils feraient quelque-chose hier soir, j'ai surpris un échange par hasard... J'ai laissé la petite fusée pour Molly et me suis caché un peu avant sur cette route. Cette nuit comme je m'en doutais ils sont revenu de la ville-jardin après le C.B. Ils avaient l'enfant avec eux, ils discutaient avec elle, vraiment, ne t'inquiète pas pour elle. On va aller la retrouver, on va essayer de leur expliquer.

— Ils sont toujours dans leur lieu de réunion, l'auberge dont m'a parlé Molly?

— Non, non, ils sont parti. Mais on va les suivre.

Il y eu un silence étrange, elles trois sur la route au petit matin, les champs légèrement givrés, quelques oiseaux. Ginia demanda à Flo :

— Où sont-ils partis ?

Elle leva les yeux comme par réflexe et les regarda, Molly, puis Ginia, comme pour s'excuser. Puis elle répondit :

— Sur Mars.

La fusée leur servait à boire et à manger, il y avait des sanitaires, elles dormaient dans leurs fauteuils qui se mettaient en position allongée. La lumière suivait le cycle d'un hiver européen, en phase avec le moment de leur départ. Pour occuper leurs esprits elles jouaient à des jeux de société. Elles discutaient beaucoup, mais n'arrivaient à aucune conclusion satisfaisante sur ces questions : comment ? pourquoi ? qui avait pu réaliser de telles choses à l'insu du reste du monde, et dans quel but ? Combien étaient dans le secret, à quelle échelle ?

Un matin vers 11h selon le cycle de leur véhicule, une alerte leur conseilla de se sangler à leurs fauteuils. Le moteur s'arrêta soudainement, elles virent leurs affaires flotter autour d'elles, puis ressentirent une poussée latérale légère mais très désagréable. Enfin le moteur se ralluma jusqu'à atteindre une décélération équivalente. Elles avaient atteint le milieu de leur voyage.

comment

Origine : Planète Terre, système solaire, Voie Lactée

Date : 17 juin 972

Message : Test 2. Bonjour, l'univers.

Origine : Etoile de l'Ouest, Secteur 8785, Voie Lactée

Date : 3 juillet 972

Message : Test reçu ! Test reçu ! C'est incroyable ! Poireaux ! Patates ! Je suis Tomas Carlos, Technicien des Sciences Eldares, à bord de l'Etoile de l'Ouest. Qui êtes-vous ? Repondez-moi ! C'est notre premier contact depuis le saut ! Avec d'autres humains ! Enfin j'espère ?

Origine : Etoile de l'Ouest, Secteur 8785, Voie Lactée

Date : 4 juillet 972

Message : Non, je ne suis pas [anonymisé, procès en cours] ! C'est vraiment moi. C'est fou. Attends, je vais te raconter.

Entre les tâches du Traducteur, les gardes, et mes traveaux personnels. Mais ça a marché ! Mon dispositif fonctionne ! Notre dispositif, Xao Liu ! Je crois qu'on a eu la même idée.

T. Je suis Technicien des Sciences Eldares sur l'Etoile de l'Ouest. Le 12 mars 802 après la bataille d'Eldakôr nous avons franchi la Troisième Porte, mais quelque-chose s'est mal passé. Au lieu de sortir par la Première Porte nous avons atteint un secteur inconnu. La planète habitable contenait des temples Eldares, avec des archives dont le volume dépasse tout ce à quoi l'humanité a pu avoir accès jusque-là. Nous sommes parti il y a dix ans et quatre mois. Etonnemment, les choses se passent plutôt bien. Je travaille beaucoup. Je forme une nouvelle équipe. Nous pensons savoir où et quand nous sommes sortis. Une étoile assez proche du premier secteur. Certainement pas une coincidence. Rien de ce qui s'est passé n'est dû au hasard, maintenant j'en suis persuadé. Nous avons fondé une communauté sur cette planète puis une poignée d'entre nous a décidé de partir. Une traversée générationnelle pour retrouver notre humanité. Et je t'ai trouvé, je crois. Qui es-tu ?

X. Je suis comme toi. Je vis et travaille sur Terre, au nouvel institut de Traduction, j'assiste [anonymisé, procès en cours] depuis le départ de son collègue Rez Sultinon. Mais je développe en parallèle un projet personnel. Je me suis basé sur les traveaux de Rez. Mais je suis une autre direction.

T. La technologie des Portes pour la communication instantannée ?

X. La technologie des Portes pour la communication instantannée. Tomas, où êtes-vous ? Envoie-moi tes coordonnées.

T. ......

X. A 13 années-lumière. Et je te parle.

T. Si mes calculs sont exacts, nous sommes en 972 après l'Exode. Xao-Liu, en quelle année vis-tu ?

X. En 972, oui, le 4 juillet. Peu après la disparition de l'Etoile de l'Ouest les Traducteurs ont été chassé par le Gouvernement. Tout le monde les coryait disparus. Mais en 962 ils sont revenus. L'année où vous êtes sortis de votre Porte isolée. Profitant de l'affaiblisement du Gouvernement après une longue guerre sécession menée par un puissant groupe clandestin il ont pris le pouvoir par la force.

T. Les Traducteurs ont pris le pouvoir par la force ?

X. Oui. L'objectif était "d'établir un retour à la démocratie"... Je ne sais pas pourquoi je te raconte tout ça. Très vite, le régime c'est durçi.

T. On est loin des idéaux de l'Institut. Et tu travailles pour ce régime ?

X. Oui.

T. La dictature scientifique. Déjà à mon époque nous étions quelques-un à la craindre, à dénoncer cette tendance politique au sein de l'Institut. J'aimerais être avec toi. Mais l'Etoile n'attendra le Premier Secteur sur dans 290 ans.

X. Peut-être.

T. Je suis maintenant sûr de notre position.

X. Oui.

X. Tomas, je vais devois interrompre nos échanges. Cela devient dangeureux. Rez a été condamné. Je crois - j'ai peur - j'ai peur qu'ils l'exécutent.

T. On se retrouvera. Soit prudent, Xao-Liu.

X. Toi aussi, Tomas. Au revoir.

Document : Captations de Xao Liu

972 ae

Textes d'origine inconnue, échange attribué à Haron Sheldi et une ou plusieurs entités non humaines, peut-être des Eldars

Captés et traduits par Xao Lui

[Sécurité Niveau 0]

Captations obtenues par Xao Liu

Lors d'expérimentations du Système de communication SCX-P-0

Traduit de l'Eldar par Xao Liu

7 septembre 972

... patients

[silence]

27 septembre 972

... s’éloigne, replonge doucement dans le néant

[silence]

12 octobre 972

... notre attention se détourne

[silence]

... écho de la naissance de l'Univers. Sa mémoire perdue, son

[silence]

29 décembre 972

... nous sommes l'enfant des étoiles

[silence]

... nous seront Paul à l'orée du Sentier Doré. Prends ma main. Caresse-moi comme autrefois. Regarde, c'est la Tarentule, la nébuleuse NGC 2070. Les secteurs sont à feu et à sang. Les révoltes ont été

[silence]

... une planète : je l'ai trouvée. Aux confins de la Voie Lactée, dans un beau système binaire. Ici nous allons réunir les survivants, les résistants; ici nous seront les Eldars. Nous aborderons ce monde

[silence]

... -moi fort. Nous avons tout l'univers autour de nous, les amas de galaxies éblouissants, les nuages d'hydrogène et les supernovæ.

[silence]

30 décembre 972

ENTITES NON HUMAINES.

Qui es-tu ?

ENTITE HUMAINE.

Je m'appelle Haron.

NH.

A quelle espèce appartiens-tu ?

H.

Je suis humaine.

NH.

Humaine... Comment Nous as-tu trouvés ?

H.

Je suis ici à la suite d'une expérience qui a mal tourné. Nous ne maitrisons pas encore complétement les portes. Je pense être la première à s'être jamais présentée devant vous, non ? De toutes les espèces que vous avez aidées ?

NH.

Sais-tu où tu es ?

H.

Pas exactement. Un non-espace situé entre les Portes ? Je l'appelle l'Interzone. J'ai essayé d'ouvrir une Porte, pour sauver la vie de quelqu'un que j'aime. J'ai réussi, mais ma Porte était instable, elle s'est effondrée, je me suis retrouvée là... Et j'ai été plongée dans un long rêve bizarre. J'étais moi, mais j'étais aussi vous. J'ai vécu des événements passés, présents, futurs peut-être, tout se mélangeait avec les vieux livres de sciences-fiction que je lisais gamine, les livres de la nouvelle vague, entre les guerres mondiales et l'exode. Avant les temples et les Portes.

NH.

L'interzone. Sais-tu qu'il s'agit d'une prison éternelle ? Personne ne peut en sortir.

H.

Vous non. Moi oui.

NH.

<intranscriptible>

H.

Je comprends votre terreur. Depuis combien de siècles êtes-vous coincés ici, sans aucun contact avec ce qu'on appelle l'univers ? Mais je peux quitter l'interzone. Et je peux peut-être... apporter mon aide ?

NH.

Que dis-tu ? Nous sommes perdus. Nous avons commis une erreur. Infime, mais fatale.

H.

Vous ne pouvez pas la réparer ?

NH.

Non, Nous ne le pouvons pas. Nous sommes coincés ici.

H.

Vous ne pouvez pas... remonter le temps ?

NH.

<intranscriptible>

H.

Pardon ?

NH.

C'est l'Unique Interdit.

H.

Bon ok, mais là c'est votre existence même, en tant qu'espèce. Une petite exception à la règle ?....

NH.

Même si Nous le voulions, d'ici Nous ne le pourrions pas.

H.

D'ici... J'ai l'impression qu'on avance tout doucement. Je suis libre de quitter l'Interzone, j'ai déjà fait plusieurs allez-retours. Je commence à maitriser mes destinations dans l'espace, plus au moins — mais quand au temps....

NH.

Personne ne le peut. Il y a trop de chaos.

H.

J'avais remarqué. Mais même dans ce contexte chaotique, mettons que... Vous me renvoyez réparer votre petite bêtise, ou m'expliquer comment faire. Dans le passé. Un truc pas trop impactant hein, on ne sait pas trop comment tout ça fonctionne.

NH.

Nous ne voyageons dans ce sens-là. Jamais.

H.

Mais dans l'autre ?

NH.

Vers l'avenir, oui, Nous l'avons fait une fois. Avec des conséquences catastrophiques.

H.

Honnêtement, vers le passé, je veux bien comprendre, en imaginant des paradoxes et tout, mais dans l'avenir, quel est le problème ?

NH.

....

H.

...

NH.

Il y aurait une possibilité. Très risquée.

H.

Nous allons voir cela. Mais d'abord, je voudrais ajouter un petit truc. J'ai découvert que l'humanité s'apprête à commettre les mêmes erreur que vous. Certains ont commencé les mêmes... expérimentations. L'Institut de Traduction, le pouvoir le plus puissant de l'humanité actuellement, est très proche de faire la même chose que vous avez faite jadis. Le même sort nous attend. Je voudrais empêcher ça.

NH.

Cela se conçoit.

H.

J'aurais donc besoin de votre aide.

NH.

...

H.

...

HN: Tu négocies un marché ?

H.

Exactement.

NH.

<intranscriptible>

H.

Oui ho ça va. Alors, je répare l'erreur, et en échange, on réfléchit ensemble à comment sauver l'humanité — pareil, discrètement quoi. Par petites touches. Qu'en pensez-vous ? Hé ho ?

NH.

....

H.

Oui, bien sûr, prenez votre temps. C'est important.

NH.

Il y a quelques milliards de possibilités seulement, où un individu de l'espèce humaine puisse agir. Parmi elles, quelques centaines ont une probabilité satisfaisante d'être accomplies. Oui... Nous voyons... Vingt-trois se situent sur Terre... Il y a une possibilité.

H.

Dites-moi tout.

NH.

Si Nous t'envoyons à ce point de l'espace-temps.

H.

Montrez-moi ? Ah oui, d'accord. Je vois. Et ensuite ?

NH.

Tu devras te rendre à cet endroit, précisément. Et voilà ce que tu devras faire.

H.

... C'est une blague ? C'est le coup du papillon ?

NH.

Le jeu des conséquences provoque un déblocage de notre situation dans un futur proche. Cela ne peut pas être avant car cela serait déjà arrivé. Il y a des perturbations dans l'Interzone, des petites fenêtres de sorties, mais elles sont trop ....

H.

Improbables ?

NH.

Improbables, oui. Mais si tu pousses ce levier, nous aurons une fenêtre dans quelques siècles. Cette possibilité t'offre en plus la possibilité d'une vie agréable, une fois le geste accompli.

H.

Ah, merci. Et comment je reviens ?

NH.

Tu ne reviens pas. Jamais. Les Portes que nous vous avons allouées n'étaient pas encore ouvertes à cette époque. Il ne faut pas que tu reviennes. Cela risquerait de tout compromettre.

N.

Ou pas ?

NH.

Ou peut-être pas. Nous ne savons pas.

H.

Donc mon sacrifice, une vie d'exil au premier siècle après l'exode, pour sauver les Eldars. Et pour les humains ?

NH.

Nous... Nous pouvons vous donner notre planète. Nous avons documenté nos erreurs, les archives sont intactes. Quelques humains pourront s'y rendre, s'y installer, apprendre, puis convaincre le reste de l'humanité.

H.

C'est... un beau cadeau. Merci.

NH.

Mais là encore il faut être prudent. Il y a peu de chemins... Oui... Regarde. Là. Ce vaisseau.

H.

L'Etoile de l'Ouest.

NH.

Nous pouvons faire une deuxième exception à l'Interdit. Nous pouvons allez le chercher, au prix d'un saut d'un ou deux de vos siècles, et l'envoyer sur notre planète. Cela donnera à votre espèce la seconde chance que tu demandes. Ainsi qu'à la notre.

H.

Et si vous me renvoyez dans le passé, et que je ne le fais pas ?

NH.

Tu le fera.

H.

C'est vrai. Je l'ai déjà fait, d'ailleurs.

[silence]

... Adieu, Rez ! Cherche-moi dans la première maison d'Ares, je

[silence]

Document : Journal d'appels de Rez Sultinon

974 ae

[Non classé]

[974-01-12 15:12:03 Appel entrant chiffré]

[974-01-12 15:12:05 Début de l'enregistrement]

LOC.

Oui ?

DIST.

Bonjour, Xao Liu.

LOC.

Heu... C'est qui ?

DIST.

Je m'apelle Rez Sultinon.

[974-01-12 15:12:05 Fin de l'appel]

[974-01-12 15:12:05 Appel entrant chiffré]

[974-01-12 15:12:11 Début de l'enregistrement]

dist: Xao Liu, ne raccroche pas, s'il te plait. C'est important.

loc: C'est... C'est vraiment toi ?

dist: Oui, c'est vraiment moi. Je peux prouver mon identité si tu veux, ça serait facile, vu que tu fouilles mes dossiers depuis quatre ans hein ! Tu connais tous mes petits secrets ! Mais je suis sûr que tu reconnais ma voix.

loc: Je... désolé, en fait... Tu as survécu alors !... Quel soulagement !

dist: Oui... Oui, en quelque sorte. Ne t'excuse pas. Je suis content que tu aies réussi à accéder à mes dossiers. Intéressant, hein ?

loc: Oui. Oui, très intéssant. Ecoute, heu, on devrait se retrouver quelque-part non ? C'est que les communications, à l'Institut...

dist: Ne t'inquiète pas. On est sur un canal spécial, on ne risque rien. Il va falloir que tu me fasses confiance, Xao Lio.

loc: ...

dist: Je sais que tu risques gros. Tu n'as pas envie de te faire coincer, et croies-moi, tu as raison.

loc: Ecoute, Rez... Je commence à comprendre ce qu'il se passe, à l'Institut, et, j'ai fait aussi des découvertes, j'ai... J'ai continué un peu votre travail, à toi et Haron Seldi, enfin je veux dire, j'ai juste déduis des choses de ce que vous avez découvert, et fais quelques tests, c'est tellement incroyable ce que vous avez fait....

dist: Oui. Oui, c'est incroyable, et terrifiant.

loc: Oui, aussi. Oh Rez, j'ai tellement de questions à te poser ! Sur votre modèle d'accès, j'ai déjà mené des expériences, en secret, et si tu savais !

dist: Ecoute-moi, Xao Liu. Il faudra qu'on trouve le temps d'échanger, mais là je t'apelle en catastophe. Cela m'a pris du temps pour te trouver, et pour monter ce canal, tout est très fragile. Tu es mon seul point de contact avec l'Institut maintenant, et, en fait, avec la Terre. Je vais avoir besoin de toi.

loc: Oui, oui, d'accord, je t'écoute. Rez, laisse-moi seulement te dire : je suis entré en contact avec l'Etoile de l'Ouest. Malgré la distance, ou le temps, je ne sais même pas quand est la personne que j'ai rencontrée. Mais nous avons discuté, sur un canal chiffré, à l'écrit mais de manière instantanée. Et j'ai aussi capté....

dist: ... Si seulement nous avions du temps ! Ce temps que les Eldars manipulent comme de la pâte à modeler, et moi je le passe à m'enfuir ou à courir après. Ecoute-moi Xao Liu : note tout ce que tu trouves. Constitues un dossier, secret — mais vraiment, fais mieux que moi s'il te plait ! Et quand tout sera terminé, enfin rentré dans l'ordre, on reprendra tout ça tranquillement. J'espère. L'Etoile de l'Ouest ! Pour moi c'est la dernière pièce ! Mais vite ! Ecoute-moi !!

loc: Excuse-moi, vas-y Rez.

dist: J'ai besoin d'accéder à un dossier classé Sécurité Niveau 0.

loc: Ah ! Mais....

dist: Les archives du premier temple, celui de Mars. Je sais qu'il reste de larges parties qui n'ont jamais été défrichées. Je n'ai pas le code secteur, on va marcher dans le noir, ça va prendre du temps. Xao Liu, tu es avec moi ?

loc: Non mais attends, j'ai pas accès aux archives Eldares, personne...

dist: Je vais t'expliquer comment faire. J'ai quelques idées de ce qu'on cherche, mais c'est flou. Alors voilà, Xao Liu, ça va demander du travail, est-ce que tu es avec moi ? Est-ce que tu es prêt à me faire confiance ?

loc: Oui. J'ai compris ce que l'Institut cherche à faire, c'était déjà le but de l'ancien Gouvernement, et même, je pense, des Rénégats.

dist: Tu... tu penses avoir compris quoi ?

loc: l'immortalité. Ce vieux mythe débile. Rien est éternel, pas même l'univers, rien. Enfin bref. C'est ça hein ? Les Eldars l'ont trouvée, et l'Institut est sur la même piste ?

dist: Tu es incroyable, Xao Liu. Il m'a fallu dix ans de travail... Mais, oui. Enfin. Les Eldars n'ont pas trouvée l'immortalité, mais ils ont été détruits en la cherchant. Ou presque détruits. Ou pire. C'est aussi ce qui nous attend, nous, les humains, si on continue dans cette voix.

loc: Ah oui, quand tu me parlais d'enjeu, là, d'accord !... Mais attends. Les Eldars... Ils n'ont pas disparu, n'est-ce pas ?

dist: Je crois que non. Mais ils sont... coincés quelque-part.

loc: Je comprends. Oui... ça expliquerait... J'ai capté des choses, en testant votre théorie, à Haron et toi. J'ai crée un dispositif de communication, comme les Portes, un truc pour se parler à travers l'espace. Et une fois j'ai entendu des... Des interférences, des trucs en Eldar... à travers mes Portes de laboratoire.... Je suis un mauvais Traducteur, je ne vais pas te mentir ! Mais j'avais l'impression que ces captations, comme je les ai appelé, n'étaient pas des poèmes millénaires comme dans les Temples. Ca semblait... je sais pas, actuel.

dist: Quel bonheur de t'avoir rencontré, Xao Liu ! Je n'ai peut-être pas erré en vain, seul dans l'Interzone pendant deux ans ! Mais allons-y dans l'ordre. Je t'envoie le peu que je sais, pour que tu cherches dans les archives de Mars. Tu ne pourras pas me joindre, je t'appelerai réguilèrement.

loc: D'accord. Je m'y mets tout de suite.

dist: Et, Xao Liu... Soit très, très prudent. Nos ennemis, ceux qui dirigent l'Institut de Traduction, sont dangereux. Penses à la planète Uhu.

loc: Je n'oulierais jamais Uhu. Merci, Rez. A bientôt.

[974-01-12 15:31:37 Fin de l'appel]

[974-01-25 16:21:52 Appel entrant chiffré]

[974-01-25 16:21:53 Début de l'enregistrement]

dist: Xao Liu? C'est moi.

loc: Salut Rez. Je n'ai pas encore trouvé. Ca va me demander du temps.

dist: Je sais. Merci, merci pour tout.

[974-01-25 16:22:00 Fin de l'appel]

[appel]

loc: Rez ! Il y a tellement de données dans ces archives !

dist: Xao Liu, peux-tu me parler de l'Etoile de l'Ouest ? Ce que tu m'as dit l'autre jour. Tu es entré en contact avec le vaisseau ?

loc: Oui. Je me suis basé sur ton travail sur les Portes. J'ai d'abord essayé de résoudre les équations avec ton programme d'optimisation, mais je n'ai pas assez de puissance de calcul, il faudrait

dist: un calculateur quantique, oui, je sais.

loc: Exactement. J'ai cherché une autre voie. Enlevé des paramètres. Je suis parti sur les photons, et puis les ondes radio.

dist: Oui, bonne idée !

loc: Je n'ai rien pu faire avec la lumière, mais je me suis vite rendu compte qu'avec les ondes ça pouvait marcher. J'ai bricolé un émetteur, ça m'a pris quelques mois, je faisais ça la nuit. Mais évidemment, sans récepteur, ça ne sert à rien. J'ai quand même essayé d'envoyer des messages, pour tester, un peu bêtes bêtes tu sais "Test 1", "Bonjour l'Univers",des trucs comme ça...

dist: A travers l'Interzone

loc: En utilisant les chemins du non-espace, oui, comme pour les voyages entre les Portes.

dist: Un jour j'ai essayé l'inverse, j'ai ouvert mon émetteur.

les captations

Tomas

r: tu peux m'envoyer les logs

x: c'est gênant ... un peu intime... des extraits ?

r: ah ! oui bien sûr !

[fin]

[974-02-03 20:18:13 Appel entrant chiffré]

[974-02-03 20:18:13 Début de l'enregistrement]

dist: Salut Xao Liu.

loc: Salut Rez. Je commence à savoir où aller. .Et j'ai compris quelque-chose ! Les captations dont je parlais ! Tu ne m'a pas parlé de Haron : où est-elle ?... Rez ? Rez attends !

[974-02-03 20:18:22 Fin de l'appel]

[974-02-11 09:35:05 Appel entrant chiffré]

[974-02-11 09:35:05 Début de l'enregistrement]

loc: Rez ! J'ai trouvé !

dist: Déjà ! Mais tu es un vrai génie !

loc: Arrête ! Enfin je n'ai pas beaucoup dormi ces dernières semaines. Mais peu importe. J'ai tout, j'ai ce que tu cherches ! C'est Haron, Haron Seldi ! Elle se fait appeler Aiano, c'est incroyable, l'enregistrement a 700 ans ! Elle parle à quelqu'un dans un français archaique, je n'ai pas eu le temps de le traduire précisemment, mais ça ressemble à des adieux. Il y a aussi un mansucrit, dans la même langue. Je t'envoie tout ça, et aussi le texte dont je te parlais, le truc capté par mon dispositif. Voilà.... C'est envoyé. Je...

dist: Merci infiniment, Xao Liu ! le temps presse, mais je te rapelle dès que possible !

[974-02-03 09:37:08 Fin de l'appel]

<!--

A inclure au moment où Xao Lui et Rez le découvre :

Document : Enregistrement d'Aiano

Enregistrement vocal de 52 ae

Conservé dans les archives du Premier Temple Eldar

[Sécurité niveau 0]

Ginia, je suis désolée de t'avoir fait subir tout ça. Je voudrais tout t'expliquer, dans notre maison d'Aubines, au coin du feu. Mais je n'ai pas le temps. Quel paradoxe ! Je ne sais pas ce que les autres t'ont dit, ce que tu as compris ou choisi de croire. Je n'ai pas eu le choix, crois-moi, fais-moi confiance. Je suis désolée.

Je veux te dire merci, merci pour tout. J'ai été tellement heureuse avec vous, à la maison et dans la commune.

Il ne me reste pas de temps.

Je suis née en 937 après l'exode, sur Tai-Kun, la planète habitable du Douxième Secteur. Mes parents m'ont donné le prénom de Haron. Je ne peux pas t'expliquer, moi-même je n'ai qu'une compréhension partielle, mais tu dois savoir qu'en 972 il m'est arrivé quelque-chose, j'ai fait une rencontre inattendue, avec ces êtres qu'on appelle les Eldars. Suite à cette rencontre j'ai été envoyée ici, en 50 après l'exode, dans ce corps d'enfant. Avec une mission à accomplir, et une promesse à tenir.

J'ai accompli la mission, mais je n'ai pas tenu ma promesse. J'ai trahi les Eldars.

A mon tour je dois te demander quelque-chose, Ginia, quelque-chose de très important. Après avoir écouté cet enregistrement, il faut que tu le caches dans le Temple. Il y a un plan sur le même bloc de données, avec une procédure que tu trouveras incompréhensible, mais je t'en prie, Ginia, fais-moi confiance, cache cet enregistrement comme indiqué.

Adieu Ginia, embrasse tous les autres de ma part.

Ta Novice,

Aiano.-->

[974-02-12 07:42:00 Appel entrant chiffré]

[974-02-12 07:42:01 Début de l'enregistrement]

dist: Xao Liu ? Merci, merci ! Tu as réussi.

loc: J'ai sécurisé tout le dossier, comme tu m'as dit. A part l'enregistrement d'Aiano, je suis en train de le traduire.

dist: Ah ! Alors je dois te dire que Haron n'est pas née sur Tai-Kun. Mais c'est là que nous avons passé nos premières vacances ensemble, juste après le retour des Traducteurs. Et Haron est née en 932. Des petites erreurs... J'ai regardé quelques autres trucs, le nombre de mots par paragraphe, ce genre de chose. C'est tout simple, et prudent de sa part. Maintenant je sais où elle est. Je vais ouvrir une Porte et la rejoindre.

loc: Elle t'a caché un message dans son texte d'adieu ?

dist: Oui.

loc: Vous savez vous amuser dis-moi. Elle a vraiment dit : "j'ai trahi les Eldars ?".

dist: Oui.

loc: Tu as lu ce que je t'ai envoyé ? Le pacte ?

dist: J'ai tout lu oui. Haron a accepté d'être renvoyée en 50 pour sauver les Eldars, c'était le prix à payer pour le saut de l'Etoile de l'Ouest qui pourrait, ou aurait dû nous sauver, nous. L'une des conditions de leur pacte était sa promesse de rester là-bas et d'y finir sa vie. Mais elle s'est débrouillée pour aller sur Mars et ouvrir un passage toute seule, à travers l'espace et les siècles, cent ans avant l'ouverture de la Première Porte.

loc: .... Wow.

dist: Ouais. Et je sais où elle est. Elle est sortie au même moment où elle est partie, il y a deux ans. Elle est sur une planète d'un secteur inconnu. Elle m'y attend.

loc: Passe-lui le bonjour. Rez, je.... Qui?... Ho, non, merde merde... les voilà !!! Je crois que.... je, écoute, REZ, VENGE-LES, VENGE UHU, C'EST FINI POUR MOI !!! VENGE NOUS TOUS REZ ! JE SUIS

dist: XAO DU CALME ! Xao ! Tu es dans mon bureau ?

loc: Oui mais ils arrivent je

dist: tais-toi et écoute ! Saisie la séquence que je t'envoie dans le terminal, vite !

loc: ... Voilà, ho ! D'accord, et

dist: Les portes sont vérouillées, ça te donne quelques minutes. Maintenant approche toi de l'ouverture sud, vite, vite ! Dévérouille avec ce nouveau code.

loc: Rez, Rez, ton bureau est dans la tour de l'Institut, à 1700m du

dist: C'est fait ? Bon. Assieds-toi au bord

loc: REZ ! Je ne peux pas faire ça !

dist: Courage Xao Liu, je vais te sortir de là ! A mon signal tu sautes

loc: QUOI

dist: MAINTENANT

loc: Adieu Rez sauve Ha-AAAÏE HAOW !

dist: ACCROCHE-TOI !

loc: REZ JE SUIS SUR LE TOIT D'UNE NAVETTE DE TRANSPORT

dist: Je sais allonge-toi !

loc: Oui... D'accord... Comment tu as su... TU M'ENTENDS ? COMMENT TU AS SU - C'ETAIT QUOI CA ? DES RAYONS ! ON ME TIRE DESSUS !!!

dist: J'ai accès aux système des transports. Reste allongé...

loc: ça va trop viiiiiite !

dist: accroche-toi.... ATTENTION SUR LA DROITE ! Voilà, super.... D'ici quelques minutes vous allez froler cette terrasse...

loc: ...

dist: Attention... Reste bien avec moi... LACHE ! Lache tout Xao Liu !

loc: HAOW !

dist: relève-toi et cours ! Cours Xao Liu tu y es presque !

loc: ils reviennent ! Il y a 5 véhicules armés ! J'en peux plus ! JE AAAAAH MON BRAS NOM D'UN MILLIARD DE MILLIARDS

dist: regarde là droit devant toi ! A 123 mètres !

loc: pfff.... pfff... C'est... pfff... il y a un truc qui scintille ....

dist: Allez couurs plus vite, plus vite plus vite plus vite !

loc: Qu'est ce que c'est Rez ?? Je vois une silouhette ! C'est... C'EST UNE PORTE !!! UNE ESPECE DE PETITE PORTE SURGIE DE NULLE PART SUR CE TOIT... pfff... Il y a quelqu'un ! HO ! Tomas !!! Je rêve ! Je rêve ! TOMAS ! CAROTTES CAROTTES CHOU RAVE !!

dist: ATTRAPE SA MAIN, PLONGE DANS CETTE PORTE XAO LIU

[974-02-12 08:36:22 Fin de l'appel]

Document : Dernière captation

Deux anonymes, lieu inconnu,

974 ae

Archives de l'Institut de Traduction

[Document public, bibliothèque de la commune de Pietry, Corsi, 3ème Secteur]

[Début de la transcription]

Analyse des sons environnant : vent fort, mouvement régulier de grandes vagues s'écrasant sur les rochers. Deux voix distinctes identifiées. Parlent fort pour couvrir les embruns.

— Salut, toi.

— Salut. Je suis content de te voir.

— Moi aussi.

— On a réussi alors, enfin tu as réussi. Pour une fois, les choses se sont passées à peu près comme prévu.

— Oui, à peu près.

Analyse des sons environnant : bourrasques

— Comment tu as fait pour revenir ?

— Oh bah j'ai fait un coup à la Bene Gesserit, tu sais, dans un de ces vieux roman de science-fiction que je t'avais passé... que tu n'as jamais lus ?

— Non.

— Hé bien, j'avais passé beaucoup de... non-temps dans l'Interzone à fouiller les archives Eldares, et j'étais suis tombée sur ce truc qui était en vogue au milieu de 1er siècle, apparemment, et ceux qui l'ont trouvé dans le premier temple l'ont mal traduit comme ça : "L'Aliène est la clé de la Première Porte. Trouve l'Enfant Etrangère qui doit"*, là il y a un trou, *"du Temple." Alors quand je me suis retrouvée projetée en 50.... dans mon corps de gamine ! Va comprendre. Quelle impression bizarre, ce sentiment de deuxième chance, mais aussi ces limites, mes réflexes perdus ! Bref. Les Eldars pensaient que la première Porte serait construite un siècle plus tard, que je ne pourrais jamais revenir. J'ai fait ce que les Eldars m'ont demandé, puis j'ai été accueillie dans un village, une de ces communes expérimentales d'après l'exode, vers l'ouest du continent européen. Je me suis présentée sous ce prénom, Aiano, le mot Eldar pour "étrangère", "alien", "venant de loin". Je savais que deux ans plus tard devait avoir lieu une assemblée locale au cours de laquelle un groupe politique porté sur l'exploration de Mars avait déclenché des émeutes et un mouvement de panique...

Analyse des sons environnant : vent, respirations humaines.

— ... Je suis allé à cette assemblée en claironnant mon nom un peu partout. Les types qui avaient découvert le Premier Temple ont crié à la prophétie, ils m'ont enlevée, et m'ont emmenée directement sur Mars, devant l'entrée du temple ! Je n'ai eu qu'à m'enfuir et trouver de quoi me faire une Porte pour revenir.

— Le coup de la prophétie ! Bien joué !

— Ouais, c'était risqué, mais c'est passé. J'ai essayé d'être discrète dans mon message, au cas où l'Institut en sache déjà trop...

— Tu as bien fait. L'Institut a le message.

— Comment le sais-tu ?

— Je te présenterai quelqu'un qui m'a aidé à fouiller les archives de Mars. Il a failli se faire tuer, mais je pense qu'il est en sécurité, à bord de l'Etoile de l'Ouest. Regarde, avec un copain ils ont inventé ce dispositif. Une système de communication à travers l'Interzone. On peut discuter avec quelqu'un situé n'importe où dans l'univers.

— Tu es sûr qu'il est éteint ?

— Oh? Je crois...

Analyse des sons environnant : rires, vent.

— J'ai une autre bonne nouvelle. Fölls a survécu.

— Je sais. Il a quitté Uhu juste avant que je... parte en voyage.

Analyse des sons environnant : vent.

— On s'en est tous sortis, finalement... Fölls continue la lutte contre l'Institut. Ils ont fondé une commune sur une lune d'Uhu.

— Je me demande... Cette histoire de mission en l'an 50 est tellement invraisemblable. Tu sais, la situation sur Terre au premier siècle n'était pas si éloignée de la notre. Avant la découverte des premiers temples. Régimes autoritaires, convertibilité de toutes les valeurs sur une seule échelle, exploitation du plus grand nombre par une poignée d'individus, statut de sujet réservé aux seuls humains, et encore. On présente souvent l'Exode comme un mouvement unique et instantané, comme si tout le monde s'était entendu pour rédiger une charte et changer de système social du jour au lendemain. Mais d'après ce que j'ai vu ce n'est pas ce qui s'est passé. Enfin, oui, il y a eu la grève mondiale, qui a bloqué le système productif brutalement. Ca, c'était assez spontané, et ça a sûrement déclenché la suite. Six semaines d'arrêt et le système qu'on jurait éternel s'est effondré. Mais après, les communes se sont créées spontanément, par nécessité, sans aucune coordination. Pourquoi ris-tu ?

— Je ne m'attendais pas à un cours d'histoire sur l'Exode, mais c'est intéressant en effet !

— Comme si le besoin infusait depuis longtemps... Les gens ont simplement repris la production, qu'ils ont priorisée selon leurs besoins... Puis les communes se sont mises en réseau, des fédérations et des factions, souvent antagonistes, ont vu le jour. Il y a eu des heurts, des affrontements. Certaines communes avaient un régime franchement autoritaire. Ce n'était pas gênant, puisque chacun était libre d'en changer. Tu savais que les Etats-Nations ont perduré ? La France s'est dissoute quelques années seulement avant mon arrivée, en 47. Avant, ils cohabitaient comme ils pouvaient avec les communes qui écloraient partout en leur sein. Sur leur territoire. Entre leurs frontières. Les regroupements fédéraux ont assez naturellement ignorés les anciennes frontières administratives pour se regrouper autour de ressources communes, en particulier l'eau. Les communes appartenant au même bassin versant se sont coordonné pour gérer conjointement leurs cours d'eau et les activités associées.

— Et tu penses que le mouvement pacifiste des secteurs est d'une même nature ?

— Je crois, oui. Les gens ne se battent pas, contrairement aux attentes de l'Institut. Depuis la destruction d'Uhu, ils ont simplement arrêté de travailler. Techarsep ne tiendra pas plus d'une semaine ou deux. Et après....

— Les communes galactiques ?

Analyse des sons environnant : rires

— Pourquoi pas !

Analyse des sons environnant : vent, vagues, contact de matières textiles, respirations humaines.

— J'avais le sentiment d'avoir trahi les Eldars en revenant ici et maintenant. Mais j'y réfléchis, depuis deux ans. Et je ne suis plus si sûre. Qui sait ce qui passe par la tête d'un titan pan-galactique poly-conscient exilé depuis des siècles dans un non-espace ? Et qui n'a pas de tête, de toute façon.

— Tu iras leur demander leurs intentions ?

— Je n'ai pas envie de retourner dans l'Interzone. Mais on verra.

Analyse des sons environnant: pleurs.

— Que c'est beau. L'océan. Les nuages, le soleil... Ca me rapelle Uhu.

— Oui, c'est magnifique. Je me disais qu'on pourrait prendre quelques vacances, qu'en penses-tu ?

— Oui, ça me dit bien.

[Fin de la transcription]

Elle est retrouvée.
Quoi ? – L’Eternité
C'est la mer allée
Avec le soleil.

Arthur Rimbaud, 150 av.ex.